la hutte

Malgré une tolérance pour les oies jusqu’au 9 février, la saison de chasse au gibier d’eau se terminait samedi 31 janvier. Retour sur une expérience en pleine nature : la chasse à la hutte, qui s’effectue depuis une construction au bord d’une mare

Il est presque 8 heures quand trois sarcelles se posent sur la mare. Méfiants, les volatiles sont restés à bonne distance. Michel Blondin, qui les observe à la jumelle depuis la lucarne de la hutte, ne pourra pas les tirer. « Pas grave ». Pourtant, ce chasseur abbevillois patiente depuis seize heures dans la hutte familiale, située au milieu de la baie Nord, entre Saint-Valery et le Crotoy. C’est une hutte flottante de 12m², la surface maximum autorisée, tout en bois résiné et solidement amarrée par des chaînes. À l’intérieur, un confort mieux que sommaire : une gazinière, une table, deux tabourets, deux couchettes avec rangements et une « niche » pour Igor, l’épagneul Munsterlander qui accompagne Michel dans ses tours de chasse. Le tout isolé et alimenté en électricité par un panneau solaire fixé sur le toit. Ce petit palace flottant a cinq ans. « Mon père vient moins, mais il a voulu se faire plaisir ». À 83 ans, Renaud Blondin chasse encore de temps en temps. La hutte a été construite en équipe avec la famille et les amis qui partagent les tours de chasse. Michel vient le vendredi. Chaque fois, c’est un rituel.

Après avoir chaussé les waders (cuissardes montant jusqu’au torse) sur le parking de la Maye, il parcourt un kilomètre entre espaces herbeux, vase et mares pour rejoindre la hutte. Les canards appelants, enfermés dans un sac de jute chantent déjà. « Je vais à la chasse depuis que j’ai cinq ans, avec mon père. J’ai fait pareil avec mon fils, je le portais sur mes épaules pour passer les mares », se souvient-il. Sur le chemin, Michel croise d’autres chasseurs. et échange des impressions sur la saison. Tous arrivent à peu près à la même heure car la réglementation les oblige à rentrer dans la hutte avant la tombée de la nuit pour ne pas déranger le gibier.

Arrivé, Michel s’occupe d’abord de ses appelants. Igor parcourt un territoire sans frontière avec vue sur Saint-Valery et Le Crotoy. « Le canard vol le bec dans le vent ».Michel étudie le sens du vent pour positionner ses canards. Les cannes sont installées en retrait, sur le bord de la mare, ou en arrière, dans une cage en hauteur pour les protéger des prédateurs (renard) et de la marée montante. Elles chanteront toutes la nuit et les mâles leur répondront. Eux sont placés sur la mare, en amont du passage supposé des oiseaux sauvages pour les s’inciter à se poser sur leur mare. Ce soir-là, six appelants prendront place sur des pneus, sorte de base flottante, au milieu de l’eau. Avant d’entrer dans la hutte, Michel Blondin fait le tour de la mare et retire les objets et les branches laissés par la marée. Avec la suivante, ils pourraient venir blesser les canards.

Les appelants sont en position, Igor est tapi près du poêle à pétrole, la partie de cache-cache peut commencer. Michel charge son fusil, fixe la lunette et prépare des cartouches de divers numéros de plombs, choisies en fonction du gibier et de la distance à laquelle il pourrait se poser. Un trop gros calibre pourrait abîmer l’animal. Les jumelles, un briquet à côté d’un paquet de Marlboro, le téléphone portable pour échanger avec les voisins de Baie, et beaucoup de patience seront nécessaires pour passer la nuit. L’oiseau se cache, mais le chasseur aussi. Aucune lumière ne vient trahir sa présence. « Les nuits de pleine lune, les lucarnes transversales créent un reflet sur le visage qui peut nous signaler aux oiseaux. Ils sont malins ! ». Les jumelles à la main, Michel balaie la mare et le ciel. Les feux de Saint-Valery se plongent dans les étendues d’eau. Les cris des oiseaux, le clapotis des appelants sur l’eau, chaque bruit résonne et rempli la nuit. Le levé et le coucher de lune sont des moments de dépaysement total. À 2 heures, la marée est à son maximum, le niveau de la mer arrive à la limite des lucarnes. La hutte se soulève doucement. Le monde s’arrête.

Les secondes égrenées par la petite aiguille de la pendule filent dans la nuit. Quand Michel allume la lumière, il ferme les lucarnes. Comme le temps de se restaurer par exemple. La gazinière permet de manger chaud, de boire un café, pour tuer le temps à défaut de canard. Ses appelants le préviendront si des oiseaux sauvages approchent. Grâce à un micro fixé sur le toit de la hutte, le chasseur entend tout à l’extérieur. L’oreille aiguisée par l’habitude, il différencie ses appelants de ceux des mares voisines et des canards sauvages. La nuit se passe au rythme des sifflements. Toujours sur le qui-vive, le chasseur tend l’oreille. trois coups de fusil au loin troublent le silence jusqu’au petit matin.

Cette nuit-là, il n’y aura pas de face-à-face entre les canards et le chasseur. Ceux qui se poseront sur la mare le feront loin, hors d’atteinte. « Les oiseaux sont très intelligents. Plus ils le sont, plus ils nous échappent. Ceux-là assurent la reproduction ». Quelques coups tirés à la pointe du jour « ça vient des marais ».

Les trois sarcelles posées à 7h45 sur la mare s’envolent bien vite. Michel les retrouvera sur le chemin du retour, débusquées par Igor d’une mare à l’abri des huttes. « Celles-là sont trop malignes, elles ne se feront plus tuer », commente Michel, admiratif.

MAGALI MUSTIOLI-HERCÉ

lien: http://www.courrier-picard.fr/region/littoral-a-la-hutte-les-oiseaux-sont-malins-video-ia0b0n512475