15 propriétaires de parcelles privées avec huttes de chasse situées sur les communes de Pendé et Lanchères sont menacés d'expropriation.
Motif: leurs terrains sont baignés par la mer et appartiennent donc au domaine public maritime.
C'est-à-dire l'Etat.
La Préfecture de la Somme conteste les droits de propriété d’une vingtaine de huttes sur les communes de Pendé et de Lanchères.
En juin 2011, des propriétaires de parcelles privées (représentant 250 ha sur les 70 km² que comptent la Baie de Somme) avec huttes de chasse situées sur les communes de Pendé et Lanchères reçoivent un courrier de Paul Gérard, Directeur départemental des territoires et de la mer.
Celui-ci leur annonce que « suite à un constat de la limite atteinte par la mer lors de la marée d’équinoxe du 21 mars 2011 (…), les terrains que vous occupez et dont vous revendiquez la propriété sont baignés par la mer et appartiennent au Domaine Public Maritime. » Et donc à l’Etat.
Coup de massue pour ces chasseurs propriétaires de parcelles privées.
« Rien à voir avec les paillotes corses »
La baie de Somme compte 255 huttes de chasse situées sur le domaine public maritime (DPM), selon la Préfecture. 21 d'entre elles ont fait l'objet du courrier Directeur départemental des territoires et de la mer. 14, dont la propriété est revendiquée par des particuliers, sont situées en baie de Somme sud. La propriété des 7 dernières est revendiquée par la commune de Ponthoile (80).
D'autre part, s’ils veulent continuer à chasser, ils devront solliciter une Autorisation d’Occupation Temporaire du Domaine Public Maritime et adhérer à l'association de chasse du domaine public maritime.
Les propriétaires, 15 au total (14 particuliers et la commune de Ponthoile dans la Somme), se regroupent en un Collectif des Propriétaires de Mollières de la Baie de Somme présidé par Miles Wambaugh. Ils sollicitent une réunion auprès de la préfecture et produisent leurs titres de propriété.
Tous ces chasseurs ont des titres de propriété notariés en bonne et due forme et payent des taxes foncières depuis des années. « Rien à voir avec les paillotes corses » selon Miles Wambaugh.
Deux exceptions au principe d’inaliénabilité du DPM
Dans un 2ème courrier du 8 juillet 2011, la Préfecture demande de lui faire parvenir les titres de propriété sachant que les seuls valables sont les « droits et successions régulièrement accordés avant l’édit de Moulins (cf encadré) de 1566 et les ventes légalement consommées de biens nationaux lors de la Révolution française. »
Ce sont les deux seules exceptions historiques au principe d’imprescriptibilité et d’inaliénation du DPM. La production de taxe foncière, d’habitation et d’actes notariés ne sont donc pas suffisants pour l’Etat.
Un an et demi de recherches aux archives
Miles Wambaugh ne se laisse pas démonter. Après un an et demi de recherches aux archives départementales et nationales, il pense avoir accumulé les preuves de l'occupation des mollières depuis l'édit de Moulins.
Il dit avoir retrouvé des documents aux archives départementales de la Somme qui montrent que ces terres appartenaient au Comte d'Artois, frère de Louis XVI et futur Charles X. Ces terres ont été nationalisées à la révolution et vendues en un seul lot le 28 vendémiaire an IV (1795) par adjudication à des bourgeois d'Abbeville. Les terres ont depuis été morcelées. C'est pourquoi chacun des propriétaires a un titre de propriété dont l'antériorité remonte à plus de 2 siècles.
Il a aussi retrouvé un document du 20 mai 1520 (avant l’édit de Moulins donc) indiquant que le châtelain de St Valéry avait accordé des concessions sur les mollières ainsi que l'abbaye de St-Valéry. Des laboureurs pouvaient ainsi travailler sur les terres recouvertes par l’eau salée.
Situation gelée
Ces pièces sont envoyées en Préfecture. Mais les services de l’Etat sortent du chapeau un arrêt de la Cour de Cassation de 1963 qui dit que même si des biens ont été légalement acquis, « rien n’est définitif » : s’ils sont baignés par la mer, ils appartiennent au DPM et donc à l’Etat. Les propriétaires actuels « ne peuvent en revendiquer valablement la propriété ». Seule exception : les concessions accordées avant l’édit de Moulins. Exit les biens vendus à la Révolution ! Et la Préfecture de mettre en garde : si les chasseurs voulaient curer ou dresser des clôtures, la remise en état se ferait à leur frais.
Une réunion était programmée en novembre 2013 avec le sous-préfet d’Abbeville mais celle-ci a été ajournée.
Contactée, la Préfecture de la Somme ne souhaite pas accorder d’interview filmée à France3 Picardie car le ministère du Développement Durable et de l’Ecologie n’a toujours pas pris de décision, selon les services de l'Etat : va-t-il ou non exproprier ces chasseurs ?
L’attente est insupportable pour les chasseurs. Un sujet sensible dans une région où la chasse est une pratique ancestrale et qui pèse comme une épée de Damoclès sur leur propriété privée.
Aujourd’hui, les successions sur ces huttes de chasse sont gelées par les notaires. Si l’Etat voulait exproprier, les chasseurs devraient saisir le tribunal administratif pour contester cette décision.
Source : France 3 Picardie